Entrevue avec Andréanne A. Malette
Dans ma quête de simplicité et de décroissance malgré que je n’y suis pas encore tout-à-fait arrivée (me reste beaucoup de croûtes à manger), je me demande bien souvent comme les autres fonctionnent dans leur vie professionnelle autant que personnelle. Comment ils arrivent à en faire un tout qui se tienne. Comment ils trouvent l’équilibre.
J’ai surtout toujours été curieuse d’en connaître plus sur la manière de vivre de ces auto-producteurs qui, tout comme moi, évoluent dans le domaine des arts.
Mon admiration pour Andréanne A. Malette ne date pas d’hier… et je sais que je suis pas la seule à la suivre. Elle est une source d’inspiration pour plusieurs lorsqu’il est question de construire le chemin de sa carrière à grands coups de briques jaunes, sans compter sur l’aide d’un magicien ou d’un épouvantail.
Cependant, il est clair que d’en avoir autant sur les épaules constitue un défi constant lorsqu’on veut concilier travail et vie personnelle… Je l’ai donc interrogée sur cet aspect de son métier mais aussi sur plein d’autres questionnements que j’avais, tout simplement!
Au début de 2019, j’me souviens très clairement d’avoir vu passer sur tes réseaux sociaux que les différentes sphères de ta vie n’étaient pas nécessairement divisées équitablement entre elles, voire un 90% pour la business, un 10% pour que l’artiste en toi puisse créer et 0% pour ta vie privé. Est-ce que ç’a toujours été comme ça?
Ces proportions ont été bien présentes de 2015 à 2018, au moment où j’ai quitté ma boite de disque, créé ma compagnie et produit mon album et ma tournée. C’était un coup à donner, et je ne regrette pas du tout cette période. Je suis passée à deux doigts de l’épuisement, mais j’ai engagé juste à temps une adjointe qui m’a permis de respirer un peu.
Les proportions idéales seraient…?
Évidemment, je cherche à trouver l’équilibre parfait entre ces trois sphères de ma vie. L’artiste et la productrice doivent d’abord avoir une part égale pour que l’entreprise existe, puis si je veux que ces deux entités soient fonctionnelles, je dois prendre soin de moi. Un 33% chaque me semble être l’idéal.
Dois-tu prendre certaines initiatives pour laisser + de place à ta vie privée?
Je l’ai toujours fait. J’essaye de prendre des micros-pauses durant la journée. Je dois respirer l’air de dehors tous les jours. Je priorise le beau temps au travail, ou j’apporte mon travail à l’extérieur. Célibataire, je suis portée à travailler sans relâche. Mais en relation, j’essaye d’arrimer mon horaire de travail à celui de mon conjoint. J’ai cette liberté de pouvoir travailler majoritairement quand je veux et où je veux. Mais sommes toutes, j’essaie d’embrasser la procrastination plutôt que de me taper sur la tête. Donc je me permets des levers tardifs le matin, et des pauses soleils bien méritées.
Considères-tu que ces moments se vivent et passent au détriment du boulot?
T’en sens-tu mal?
Oui. Souvent j’ai cette fâcheuse impression que je suis en train de faire du sur-place si je ne travaille pas, alors que prendre soin de soi est également indispensable. Je crois que mon épanouissement personnel est aussi important que mon travail, mais la difficulté réside dans l’évidence des résultats. Il est toujours plus facile d’observer les résultats concrets d’une journée de boulot, plutôt que les effets bénéfiques d’une journée de lecture au spa. Et comme nous sommes une société de performance, le travail comble souvent ce besoin d’obtenir des résultats quantifiables.
Arrives-tu à décrocher facilement ou c’est un exercice éprouvant?
Assez facilement. C’est très facile pour moi de fermer mon téléphone pendant plusieurs jours. Mais comme je suis passionnée, je continue toujours de penser à ce que je pourrais faire. Mais ce sont plus des pensées en lien avec la création, les idées de concepts, plutôt que les tâches à accomplir (du moins, depuis que j’ai une adjointe!).
Quel a été l’élément déclencheur qui t’as mené à l’auto-gestion/l’auto-production?
Un doux concours de circonstances a fait en sorte que ma boite de disque m’a laissé partir au moment où je souhaitais quitter. J’ai beaucoup appris de cette expérience. Je n’ai aucun regret et je remercie les individus qui ont travaillé avec moi durant ces années. Mais, étant de nature fonceuse et très créative, j’ai été confronté à de nombreux « non » par faute de budget ou de temps. Au fond de moi, je savais pourtant que l’on peut arriver à tout avec peu de budget en étant créatifs et motivés. Mais, ça demande de l’énergie et du temps, souvent ce qui manque aux grosses boites qui gèrent plusieurs projets à la fois. J’ai donc décidé d’y mettre toute mon énergie et mon temps, sachant que personne n’allait croire en moi plus fort que moi-même.
J’ai l’impression parfois en discutant avec les gens que le fait de s’autoproduire et s’autogérer en musique est un concept flou. Peux-tu expliquer en quoi se résume ton travail?
Mon travail ne se résume pas. Hihi! À la base de tout, j’ai un travail d’auteure-compositrice. Je dois écrire des chansons. Mais c’est loin de prendre tout mon temps. Ce sont des processus sporadiques. Comme je porte tous les chapeaux d’une boite de disque, alors je dirais que je suis : Auteure-compositrice-interprète-musicienne-productrice-éditrice-idéatrice-gestionnaire de projets-gérante-comptable-secrétaire-metteure-en-scène-administratrice-coordinatrice-etc. Ça se situe entre chanter sur les plaines d’Abraham et aller poster moi-même une commande de t-shirt à la poste. Entre faire une entrevue à TLMEP et aller chez Rona acheter de la corde pour fabriquer mon décor de scène. Je suis une multidisciplinaire au centre d’un organigramme complexe comprenant de nombreux partenaires qui travaillent tous à leur compte, mais qui doivent sentir qu’on travaille tous dans le même sens pour mon projet.
Crois-tu qu’on se définisse trop par notre métier?
Peut-être. Mais notre métier est une passion. Et il est tellement complexe, que se définir par ça ne me semble pas réducteur.
Quel est ton rapport avec le succès?
Je préfère la réussite, elle est plus personnelle et contrôlable. Être fière de soi est pour moi plus important que le jugement des autres. Je préfère penser que mon album est une réussite même si la critique ne l’encense pas, plutôt que faire un album dont je ne suis pas fière, mais qui plaise à l’industrie.
Éprouves-tu parfois un besoin de ralentir la cadence?
Je dirais que j’ai souvent l’impression de ne pas en faire assez, parce que mon métier est en grande partie un métier de créateur, et trouver des idées, ce n’est pas vraiment quantifiable. Être lunatique et observatrice fait partie de mon métier. Mais, j’ai l’impression de vraiment avancer quand je concrétise des projets. Des fois, ça va vraiment trop vite oui. Et des fois, je me tape sur la tête parce que ça avance pas. Faut danser avec tout ça.
Te considères-tu comme trop branchée sur tes appareils intelligents?
J’essaye sincèrement d’avoir un rapport sain avec tout ça. Je ne l’ai pas toujours en main. Je fais frustrer mes proches parce que je ne réponds pas toujours, ou vraiment tard. J’ai une application qui limite mon temps d’écran après 22h. Je suis une fan de livres, alors j’essaye de lâcher le téléphone et prendre un bon bouquin.
Que penses-tu des réseaux sociaux?
Ils sont bien pratiques pour mon travail. Ils me permettent de rejoindre mes fans. Et sans ça, l’autoproduction serait un véritable casse-tête. Je n’aurais pas les moyens de me payer des panneaux publicitaires ou autres méthodes traditionnelles de rejoindre le public. Les réseaux sociaux permettent d’éliminer les interventions coûteuses, et permettent un lien facile et direct entre l’artiste et son essentiel : le public.
As-tu l’impression que de nos jours, on est exposés à tellement d’informations, d’opportunités qu’il devient plus difficile de faire des choix?
Oui. Je suis la pire pour faire des choix. Trop d’offres. Trop de possibilités. Ce n’est pas pour rien qu’on est une belle génération d’angoissée. En même temps, on est libres et créatifs. On vit dans le monde des possibles.
Qu’est-ce que la simplicité pour toi?
Un synonyme de vérité. Accepter d’être soi-même, se donner le droit d’être différent. Ça rend le cœur léger et rend tout plus simple.
J’ai vu que tu étais à la marche pour la planète en septembre dernier.
Pourquoi était-ce important pour toi d’y être?
Il y a de ces grands moments d’histoires dont tu veux faire partie. Et parce que je crois que l’individu, autant il est important dans ce genre de situation (chaque petite tache sur une photo aérienne fait toute la différence), autant ce n’est pas lui qui a le gros bout du bâton pour changer les choses. Je peux prendre des douches plus courtes, et acheter le moins d’aliments emballés possibles, mais les vrais changements doivent provenir des gouvernements et des compagnies. C’est pourquoi nous étions là. Pour leur parler. “There so much we can do” si eux ne font rien!
Y a-t-il des changements que tu as dû opérer pour être un peu plus « verte »?
Malheureusement, la vie de tournée me rend la tâche un peu difficile. On est obligé de prendre très souvent nos voitures, remplies d’instruments (ça s’apporte mal un drum en métro). On doit manger souvent au restaurant, ou du prêt-à-manger. Mais, je visite les épiceries zéro déchet, je consomme local et en saison le plus possible, je recycle et ré-utilise, et marche beaucoup pour les petits déplacements.
Crois-tu qu’on puisse arriver à renverser la vapeur à temps, du moins pour ne pas dépasser les 2 degrés en plus depuis l’ère industrielle?
Renverser non. Limiter les dégâts oui. La génération qui nous suit a l’environnement au cœur de ses priorités. Quand elle aura le pouvoir, la planète pourra respirer un peu. En attendant, faire comprendre aux géants pollueurs égocentriques qu’ils doivent renverser leur modèle économique est chose quasi-impossible.
Es-tu parvenue à atteindre l’équilibre visé? Tu en es à quels pourcentages en ce début de 2020?
Honnêtement, productrice et vie personnelle s’en tirent assez bien. Mais l’artiste se meurt. Hihi. Je pars dans un chalet la semaine prochaine pour écrire. Je lui redonne de l’importance tranquillement. Donc, un 40%-40%-20%.
Parle-moi de ce qui s’en vient pour toi!
L’écriture d’un nouvel album. Un single à l’hiver. La 5e édition de la Tournée FEU DE CAMP. Des ateliers sur l’autoproduction. Et peut-être un achat immobilier. ;)
Beaucoup de boulot et de plaisir à l’horizon!